Quand un enfant apprend une poésie en jouant, il est souvent capable de la réciter à un proche sans la moindre hésitation. Moins il réfléchit, plus il s’amuse des lignes d’écriture parvenant dans l’ordre et en rythme à sa conscience.

Dans le sport, nombreux sont les compétiteurs cherchant à fixer ce type de spontanéité. Un élan instinctif les guidant vers le « flow [1] », connu pour être la zone de manifestation d’un état idéal de performance. Omniprésent dans les milieux artistiques et sportifs, cet état de grâce fait face à un autre penchant. Un versant opposé, susceptible de renvoyer un athlète à la réalité d’un échec sous pression. Les exemples sont nombreux, celui de Sabine Lisicki, finaliste du tournoi de tennis de « Wimbledon » en 2013 est particulièrement parlant. Sur le court, la joueuse allemande n’a pas pu cacher sa détresse. Dépassée par l’engagement de Marion Bartoli dès les premiers échanges de la partie, elle éclate en sanglots à plusieurs reprises. Sur certains de ses services, elle semblait tétanisée par l’enjeu. En substance, ses nerfs ont lâché, sa finale a viré au fiasco.

Nous verrons le processus théorique conduisant un sportif à céder sous la pression. Nous nous appuierons sur la réalité du terrain en bénéficiant de l’expérience d’un coureur[2] de cyclo-cross. Évoluant à un excellent niveau national, il nous expliquera comment il évacue le stress sur la ligne de départ, sans que personne ne le remarque.

Dialogue interne et préparation mentale

Les pensées d’un athlète ont une influence considérable sur son rendement au cours d’une épreuve. Le moment où un sportif décide de stopper son effort dans l’action, soit parce qu’il est dominé par un adversaire, soit parce qu’il est épuisé nerveusement, est un moment de libre arbitre. Directement à partir de cette observation, nous pouvons être tentés d’entraîner un compétiteur à garder un contrôle permanent sur son dialogue interne : un choix l’incitant à mépriser des états affectifs déstabilisant, comme des émotions ou des sentiments propres à la nature humaine. A la longue, l’orientation décrite en début de paragraphe ne semble pas en mesure de résister à l’épreuve de la réalité. Vouloir modifier l’état d’esprit d’un athlète en lui imposant un modèle idéalisé relève d’une pensée magique. Pour illustrer ce que peut être une pensée magique, imaginez-vous échapper à un train[3] en courant quelques mètres devant la machine, au milieu de la voie ferrée. A l’opposé, une pensée réaliste correspond aux pas de côté réalisés suffisamment tôt avant son passage pour se mettre hors d’atteinte.

Ce serait une erreur d’imaginer que parce que nous avons conscience de ce comportement caricatural, notre esprit puisse à coup sûr en être épargné. C’est pourquoi la préparation mentale, dont il est question dans le développement, s’appuie sur des fondamentaux tirés de notre expérience du terrain. Elle repose sur la mise en relation de trois piliers (Schéma n°1) : la capacité d’attention, l’éprouvé du stress et le comportement. L’étude des liaisons entre ces différents points permet à un sportif d’identifier ce qui le rend vulnérable dans l’action. Le fil rouge reliant ces trois piliers est la nature, parfois changeante, de son dialogue interne.

Fondamentaux d'une préparation mentaleDans ces conditions, l’athlète bénéficie d’une représentation claire de sa mise en condition mentale. Il perçoit précisément les ajustements à opérer quant à son état d’esprit en compétition. A aucun moment nous n’avons heurté la susceptibilité du sportif ; pour ça, nous évitons de le juger ou de lui donner des conseils. Cette façon d’agir le responsabilise et nous assure de son engagement. Ces précautions, car nous ne voulons pas que les séances de mise en condition mentale, servent d’alibi pour ne rien changer quand tout va mal.

Dans l’adversité, le dialogue interne du sportif porte ses préoccupations. Nous pensons que c’est à son niveau que les émotions prennent la forme des sentiments[4]. C’est pourquoi, en tant que préparateur mental, nous privilégions un espace de travail que les militaires nomment le « retex[5]». Un retour d’expérience donnant la possibilité au compétiteur d’analyser et d’évaluer le poids de sa petite voix intérieure quand il prend une décision dans l’urgence. Lorsqu’un sportif fait face à des complications identifiées dans un précédent « retex », il est en capacité de rester lucide malgré l’élévation de son niveau de stress. Il nous a semblé utile de donner ces précisions avant de traiter du mécanisme d’échec sous pression.

Le mécanisme d’échec sous pression

Dans le cadre de l’étude de ce mécanisme, une des premières transitions attirant notre attention est celle qui va de la fin de l’échauffement au départ d’une course. Dans beaucoup de disciplines, cet espace est délaissé, considéré comme perdu parce qu’en fonction des contraintes particulières liées à une épreuve, il ne laisse pas suffisamment de temps pour optimiser l’échauffement. L’athlète, qui est en posture d’attente à moins de cinq minutes du départ, voit sa température musculaire diminuer. Cet effet le rend plus sensible aux sensations corporelles relevant du stress. L’attente facilite l’apparition des ruminations puisqu’au niveau psychique, cet espace est vide ou non occupé. Les idées qui traversent l’esprit du sportif à ce moment-là ne sont que l’expression de l’éprouvé corporel. Une charge émotionnelle facilitant la fixation de l’attention sur le dialogue interne et faisant perdre le contact pour un temps trop long avec ce qui se passe à l’extérieur. Ce basculement de l’attention est rendu possible par l’existence d’un filtre attentionnel.

La théorie du goulot d’étranglement

Il peut nous arriver d’être au centre d’une conversation et de penser à toute autre chose qu’à l’objet de la discussion. Nous entendons ce que l’on nous dit mais notre esprit est ailleurs. Des pans entiers de la réalité peuvent nous échapper sans que nous ayons la possibilité d’évaluer objectivement ce qui n’a pas été mémorisé. Des idées provenant de notre imagination sont susceptibles de mobiliser la globalité de notre attention. Le processus est identique avec des pensées issues de la mémoire. Sans y avoir été invités, des souvenirs se propagent spontanément dans la conscience malgré l’à-propos d’un interlocuteur.

La profondeur du dialogue interne d’une personne bloque ou inhibe, en temps réel, des perceptions relatives aux paroles et aux mouvements des individus qui sont dans son environnement de proximité. Les pensées[6] et le raisonnement[7] repoussent des stimuli externes qui sont principalement sonores et visuels. Ce mécanisme tend à privilégier le traitement des informations véhiculant une charge émotionnelle considérable. Dès qu’un sportif se raconte une histoire, aussi brève soit-elle, il sort de sa concentration et perd le contact avec ce qui se passe autour de lui.

Prenons l’exemple d’un coureur sur la ligne de départ d’un cyclo-cross. Le coup de feu du starter est imminent. L’attention du compétiteur est détournée par les encouragements de ses proches. Sûr de sa force au vu de ses adversaires, il se demande à qui il va offrir le bouquet du vainqueur. En d’autres termes, un excès de confiance correspondant à une pensée positive le sort de sa concentration. Au même moment, son entraîneur lui passe les dernières consignes, il est à une distance suffisante pour être entendu. Il lui demande de ne pas partir trop fort. Le coach est inquiet car suite à l’échauffement et les passages répétés des différents concurrents, le terrain est particulièrement gras à l’endroit du départ. Le risque est grand de déraper ou de tomber dans le premier virage. Son coureur doit prendre en considération ce changement de l’état du terrain avant de s’engager dans la première courbe.

L’intérêt du sportif pour les encouragements de ses proches provoque des associations d’idées agréables qui détournent son attention de l’action en cours de réalisation, représentée dans cet exemple par le message de son entraîneur. Pendant que le coureur se fait des films (schéma n°2), le risque de chute n’est pas écarté malgré la mise en garde de dernière minute de son coach. A la base de ce mécanisme d’inhibition des informations, il existe un filtre que les spécialistes de la psychologie de l’attention qualifient de « goulot d’étranglement »[8].

Théorie du goulot d'étranglement centralQuand notre esprit vagabonde, des pans entiers d’une conversation peuvent nous échapper. Le dialogue interne, égocentré, articulé autour de préoccupations personnelles, empêche pour un temps notre conscience de viser la réalité. Les compétiteurs ne sont pas épargnés par cet état. La dispersion de l’attention crée un décalage par rapport au déroulement de l’action. Ce retard, lorsqu’il est conscientisé, provoque l’élévation du niveau de stress du sportif. Les tensions mobilisent l’attention de l’athlète et réduisent ses capacités. Par capacités nous entendons des qualités et des habiletés ancrées dans sa mémoire procédurale, siège des apprentissages.

La mémoire procédurale

La mémoire procédurale est le siège des comportements qui ont été automatisés par un travail de répétition. Pour apporter un éclairage à son fonctionnement, revenons à l’exemple de l’enfant qui apprend une poésie par cœur.

Sa performance verbale, quand il sera amené à réciter ce qu’il a appris, est subordonnée au libre fonctionnement de sa psyché. Si l’enfant ne réfléchit pas avant de réciter un poème qu’il connaît parfaitement, il n’aura aucun mal à remettre de l’ordre dans ses idées au cours de son passage devant sa classe. Au contraire, si dans les minutes qui précèdent son évaluation, il intellectualise le déroulé de son passage, son dialogue interne a toutes les chances de favoriser l’élévation de son niveau de stress. Dans ce cas, le mécanisme est le suivant : en posture d’attente, une fraction de seconde suffit à ce qu’il imagine les conséquences possibles de son échec. Il élabore des scénarios en se projetant, par exemple, sur les répercussions négatives en lien avec une mauvaise appréciation de la part de l’institutrice. Il peut aussi penser qu’il se sentira ridicule s’il n’arrive pas à faire ce que ses camarades ont réussi avant lui. Freud a formalisé ce processus en développant la notion de « contre attente[9] » : un concept reposant sur le degré d’incertitude manifesté par une personne vis à vis d’un résultat. Un discours interne répétitif et empreint de morosité entraîne des représentations visuelles ou des pensées d’une grande pénibilité. L’accumulation de la tension provoquée par des idées négatives parasite l’accès à la mémoire procédurale. Le meilleur moyen d’inhiber le libre fonctionnement de cette mémoire<[10] est de réfléchir aux conséquences d’une action dans les minutes ou les secondes qui la précèdent.

Au cours d’une phase d’attente, le basculement de l’attention (schéma n°3) sur le dialogue interne place le sportif en retard par rapport au déroulement de l’action. S’ensuit une élévation de son niveau de stress qui parasite l’accès à des automatismes assurément maîtrisés à l’entraînement. Des erreurs d’habiletés quelquefois inexplicables, un retour à la case débutant !

Visées de l'attention dans le temps

Rapprochons-nous de la physiologie d’un athlète dans l’action en tenant compte de la théorie du goulot d’étranglement et du fonctionnement de la mémoire procédurale. Notre intention étant de lier le produit des effets négatifs du stress et de la déconcentration, à l’épuisement physique et mental d’un compétiteur.

La coactivation musculaire

La coactivation musculaire désigne un phénomène d’activation simultanée de deux muscles, agoniste et antagoniste, au cours d’un mouvement. Elle exerce un contrôle permettant d’augmenter la résistance articulaire en cas de perturbation mécanique[11]. Elle est très utile dans les phases de freinage d’un mouvement rapide ou dans des mouvements exercés à l’encontre d’une charge[12]. Voyons quelle peut-être son influence sur le compétiteur.

Quand un athlète est bien entraîné, une grande partie de ses mouvements dans l’action ont été automatisés par la qualité et la durée des séquences de travail à l’entraînement. Dans cette forme d’automaticité, la commande de ses membres est régulée par la moelle épinière>[13]. Prenons l’exemple d’un coureur de trail[14] qui descend un chemin à grandes enjambées. Ce dernier ressent des changements au niveau de ses appuis, ce qui l’amène à fixer plus attentivement la surface de course qui se dégrade sous ses pieds. Son cerveau déclenche la coactivation de certains de ses muscles en interférant dans la fonction de la moelle épinière. Ce mécanisme permet au sportif d’augmenter la résistance des articulations de ses membres inférieurs et d’éviter la chute ou la blessure. La prise de conscience du danger a automatiquement diminué l’amplitude et la cadence de la foulée. Si cette fonction est salutaire face à un risque, il est possible qu’elle soit activée quand un athlète est victime de son dialogue interne. Lorsque le compétiteur gère mal le stress qui l’accompagne, l’organisme pourrait faire une confusion entre un réel danger et le stress produit par son discours intime. Pour l’œil aiguisé d’un entraîneur ou d’un technicien, les effets des tensions sont visibles sur le corps trop contracté du sportif en prise avec ses émotions.

En 2007 Asafa Powell détient le record du monde du 100m plat (9 s 77, Zurich, août 2006). Il a été suivi par une équipe de journalistes de la chaîne télévisée Arte dans le cadre d’une série de reportages intitulés « Secrets d’athlètes ». Avec la collaboration de scientifiques japonais, l’amplitude de sa foulée a pu être mesurée au plus fort de son accélération. Elle était de 2m60 à environ quarante mètres de l’arrivée. Quelques semaines après, en finale du 100 mètres aux championnats du monde d’Osaka, A. Powell est à pleine vitesse quand il prend conscience que Tyson Guay se rapproche dans le couloir de droite. En une fraction de seconde, son attention passe de l’extérieur vers l’intérieur, le doute s’empare de son esprit.

Voici ce qu’il explique dans le reportage : « D’abord, j’ai vu ses jambes, je pensais courir vite et quand je l’ai vu se rapprocher, j’ai pensé : qu’est-ce qui se passe ? Et j’ai paniqué. A ce moment-là, je ne pensais plus à courir correctement mais à me détacher des autres, je ne réfléchissais plus aux bonnes choses à faire. Je voulais juste courir vite et c’était une grave erreur. »

Confronté à un possible échec, A. Powell a paniqué et s’est désuni corporellement. Au lieu de rester concentré sur ses fondamentaux, il a forcé pour ne pas être rejoint et s’est crispé plus que de raison. Il a sans doute été victime de coactivation musculaire. Si c’est le cas, elle n’a pas été activée par un danger externe mais par la dispersion de son attention qui s’est focalisée sur les contraintes véhiculées par son dialogue interne (schéma N°4).

Visées de l'attentation dans l'espace

Sur les trente derniers mètres de sa course, sa foulée a été mesurée à 2m40, soit vingt centimètres de moins que ce qui avait été mesuré par l’équipe scientifique à l’entraînement ! Un arrêt sur image pendant le sprint le montre avec le buste exagérément à gauche de l’axe du tronc, et les muscles de son visage extrêmement crispés. Son expression corporelle traduit sa détresse de l’instant. Ses questionnements l’ont sorti de sa course. Pris dans l’urgence, il a perdu le fil de ses priorités. Un effet domino qui aurait entraîné l’élévation de son niveau de stress et déclenché la coactivation de certains de ses muscles. Une quinzaine de jours plus tard dans un meeting en Italie, Asafa Powell court sans réelle adversité et sans stress, il bat le record du monde en 9 s 74 !

Nous pensons que le stress cumulé avant une épreuve peut participer au déclenchement de la coactivation musculaire. La quantité des « stresseurs » est indissociable de leur diversité. L’ambiance dans laquelle évolue le compétiteur joue un rôle prépondérant quant à sa motivation et son engagement dans l’action. A ce titre, la prise en compte des tensions du sportif dans une mise en condition mentale porte sur l’ensemble du cercle relationnel, à savoir les sphères sociales, professionnelles, sportives et familiales.

Synthèse

Face au doute, dans les minutes précédant une épreuve, il existe des techniques pour limiter les effets du stress sur le corps d’un compétiteur et éviter que son attention ne se disperse. La deuxième partie de ce papier donne une représentation de ce que peut faire un athlète pour éviter de tomber dans le piège de la déconcentration. Un écueil, selon nous, à l’origine du mécanisme d’échec sous pression.

De la théorie à la pratique

Edmund Jacobson (1888-1983) était un psychiatre américain. Étudiant à l’université d’Harvard, il s’est intéressé très tôt aux dégâts causés par le stress. Dans les années trente, il a mis au point une méthode pour lutter contre la tension nerveuse. Il disait que c’était le mal du siècle. Il a créé la relaxation progressive et différentielle pour désigner une relaxation neuromusculaire. Il pensait que le désordre mental pouvait être soigné par un entraînement régulier consistant à induire une profonde relaxation sur les différents groupes musculaires d’un individu. Nul doute que sa méthode a contribué, avec d’autres, à la conceptualisation de la sophrologie[15].

Apprendre à se vider l’esprit pour mieux diriger son attention

En mesurant l’activité électrique du cerveau, E. Jacobson a démontré que le relâchement musculaire entraîne une détente mentale. Insistons sur son positionnement novateur pour l’époque puisque le point de départ de sa méthode n’était pas mental mais musculaire. Dans la version en langue française[16] de son livre « You must relax » (1956), une phrase rejoint parfaitement le but que peut poursuivre un athlète en expérimentant cette technique juste avant une épreuve : « Il ne faudrait à aucun moment faire un effort pour cesser de penser ou pour vous vider l’esprit ». La difficulté est qu’E. Jacobson a élaboré sa technique en tant que psychiatre. Ce que nous voulons dire, c’est que sa stricte application relève d’une démarche de soins. Chez un compétiteur, l’ajustement de son état de tension est préférable à l’obtention d’une relaxation plus profonde. Par principe, un athlète parfaitement relaxé ne sera jamais suffisamment dynamique pour exploiter sa capacité d’accélération ou son explosivité.

Pour cette raison, nous avons décidé de travailler à la diminution des tensions plutôt que de tenter de les éliminer. Par exemple, sur une échelle de zéro à dix, zéro équivaut à une tension nulle favorisant le basculement dans le sommeil et dix équivaut à une tension déclenchant la coactivation musculaire. Si un sportif signale qu’il peut monter au niveau huit avant son épreuve, nous chercherons à ce qu’il descende d’un à deux points. Cet ajustement mobilise obligatoirement son attention et lui évite de se disperser.

Avant de bénéficier du témoignage du coureur de cyclo-cross qui détaillera sa pratique, nous posons trois conditions pour que la technique puisse être efficace :

  • L’exercice doit impérativement être expérimenté les yeux ouverts. Cette précaution pour éviter un décrochage au niveau attentionnel et une relaxation trop importante. Ces deux effets s’opposent à la bonne réalisation d’un effort de haute intensité ;
  • L’exercice doit être associé à des respirations dynamiques et rythmées pour maintenir une tension corporelle en cohérence avec l’effort à fournir ;
  • L’exercice ne doit pas être associé à de la visualisation positive juste avant le départ. L’imagerie mentale ramène de facto un compétiteur à son dialogue interne, il y a un risque de déconcentration. La visualisation positive sera efficiente, pratiquée hors compétition ou la veille. Quand un athlète ferme les yeux et visualise des images sur son écran mental, il se coupe de la réalité ambiante. Il y a systématiquement un temps de récupération à respecter pour qu’à la suite, il puisse être pleinement attentif à ce qui se passe dans son environnement de proximité.

Une fois ce cadre posé, la réalisation de l’exercice garantit à un compétiteur le maintien de son attention dans l’ici et maintenant et une diminution de son niveau de stress.

Partie pratique : réalisation de l’exercice en situation de compétition

Nous vivrons cette expérience à travers le témoignage de Valentin Humbert. Dixième de la dernière coupe de France de cyclo-cross en 2018. Ce coureur âgé de vingt-trois ans a intégré la mise en condition mentale à sa préparation lorsqu’il était « junior », il avait dix-sept ans. Il maîtrise plusieurs techniques[17] s’appuyant sur le corps et la respiration. Il est en capacité de varier les exercices pour ajuster son état de tension avant un départ. Il nous livre ici son témoignage et nous explique de quelle manière il occupe son esprit lorsqu’en posture d’attente, après l’appel des coureurs, il lui reste trois à cinq minutes avant le départ d’une course.

Valentin Humbert par Benjamin GriveauValentin Humbert par Benjamin Griveau

Témoignage de Valentin Humbert, coureur :

« Je commence mes exercices pour gérer le stress entre la fin de la reconnaissance du parcours et le début de l’échauffement, je les continue entre la fin de l’échauffement et l’appel des coureurs, et au dernier moment sur la ligne de départ. Pour moi, la pratique des exercices pendant ces temps d’attente me permet de ne pas subir le stress, je sais quoi faire si ça ne va pas.

Sur la ligne de départ, j’ai d’abord une phase d’installation, je fais le vide dans mon esprit en dirigeant mon attention sur des repères précis qui ont été travaillés en séances. Soit pendant des « retex », soit au cours des séances d’hypnose. Je regarde mes repères un bref instant, sans les juger, sans les analyser.

Je prends conscience de mes appuis, d’abord sur le cadre, la cale de ma chaussure droite est enclenchée dans la pédale, la chaussure gauche est au sol. Mes coudes reposent sur le guidon, je ne ferme pas les yeux. Je reste attentif aux bruits et aux odeurs, la pommade en tête. Je suis calme, je passe mon corps en revue, j’évalue mon niveau de tension. Ça va vite, j’ai l’habitude. Je garde le contact avec ce qui se passe près de moi, même s’il m’arrive de baisser la tête pour me détendre un peu plus si j’en ai besoin. Après, j’inspire plus longuement que la normale, je retiens l’air deux à trois secondes et je mets tout mon corps en tension. La tension est modérée, je me contrôle, je pousse légèrement sur tous mes appuis, les jambes et les bras. J’expire et je lâche l’excès de tension tout en restant attentif aux autres et à leurs mouvements. Je fais cette routine une à deux fois de plus en moins de deux minutes, au milieu des autres coureurs, sans que personne ne s’en rende compte. Si l’on me parle, je peux répondre. Je ne m’isole pas dans une bulle.

Ensuite, je récupère des sensations positives, je constate la baisse du stress. Contrairement à avant où j’expirais longuement pour me détendre, je fais le plein d’oxygène en allongeant les trois inspirations suivantes. Elles sont profondes et abdominales. Selon le climat, je m’arrête un instant sur la fraîcheur de l’air quand j’inspire ou les sensations de réchauffement à l’expiration s’il fait froid. J’alterne entre mon corps et ma respiration, je lève la tête et je surveille la personne qui va donner le départ.

Enfin, près du départ, je réalise l’exercice plus vite et sans forcer, je me laisse trente secondes pour respirer normalement. Quand il fait très froid, je profite de l’exercice pour insister sur le relâchement de mes mains et mes bras.

Je suis très attentif au signal du starter, je me fais confiance pour pousser sur ma jambe droite juste ce qu’il faut et enclencher la deuxième pédale sans perdre de temps. Mon but est de partir vite et d’éviter les accrochages qui sont fréquents parce que les places gagnées dans les premiers mètres sont importantes. »

Si la technique est simple à mettre en place, elle a nécessité plusieurs entraînements pour que l’athlète se l’approprie sans qu’elle ne perturbe ses habitudes. Le vécu du phénomène de diminution des crispations place le compétiteur dans de bonnes dispositions mentales avant qu’il ne produise son effort. Au lieu de subir le stress au plus fort de la tension ambiante d’un départ, il est dans la capacité de travailler à sa diminution tout en limitant la dispersion de son attention.

Certaines de nos aptitudes techniques ou instrumentales[18] n’ont pas de liaison directe avec la pensée et le dialogue interne. Nous avons vu que l’intellectualisation d’une action avant sa réalisation a de fortes chances de perturber les automaticités d’un athlète.

Quand un sportif ne s’est pas entraîné à attendre, il arrive que le stress mal contenu déclenche la dispersion de son attention tout en parasitant le guidage naturel de ses mouvements. Des habiletés ancrées dans sa mémoire procédurale qui, une fois réinvesties par le dialogue interne, le font basculer dans un état de tension pouvant l’amener à céder sous la pression.

D’aucuns diraient qu’il suffit de prendre du plaisir pour éviter la peur « panique ». Nous ne pouvons pas raisonnablement envisager le rôle du préparateur mental avec autant de détachement quand les revenus des athlètes sont conditionnés par leurs résultats sportifs. Ce que nous souhaitons, c’est pourvoir les compétiteurs à créer des conditions favorables pour qu’ils soient lucides et combatifs dans les moments clés d’une épreuve.

L’échec sous pression traduit un état individuel où s’accordent deux éléments : la confusion mentale et la tension corporelle. Bien que différent dans ses manifestations, ce phénomène est également collectif. A l’instar d’un Didier Deschamps[19] qui, le huit juin dernier, a déclaré que son équipe avait fait un non match en Turquie, nous pourrions parler de contagion émotionnelle quand le doute s’empare inconsciemment d’un groupe.

Bibliographie

Jacobson, Savoir relaxer pour combattre le stress, Editions de l’homme, 1980 ;
Lev Vygotsky, « Pensée et langage », Editions La dispute, 1997 ;
F.Lestienne et A.Feldman, Sciences et motricité N°45 p16, Editions Deboeck, 2002 ;
P.A.Chéné, Sophrologie, tome 1, Editions Ellébore 2008 ;
Carol Dweck, « Changer d’état d’esprit, une nouvelle psychologie de la réussite », éditions Mardaga, 2010 ;
D.Lafont, “Sport, entrez dans la zone” aux éditions Amphora, 2011 ;
S.Colson, Sciences et motricité N°85, Editions Deboeck, 2014 ;
François Maquestiaux, « Psychologie de l’attention », Editions Deboeck, 2017.


[1] D.Lafont, “Sport, entrez dans la zone” aux éditions Amphora, 2011.
[2] Valentin Humbert, team S1NEO Connect Cycling Team.
[3] Carol Dweck, « Changer d’état d’esprit, une nouvelle psychologie de la réussite », éditions Mardaga, 2010.
[4] Lev Vygotsky, « Pensée et langage », Editions La dispute, 1997.
[5]Retex : terme employé dans les armées suite à une opération, ce retour d’expérience concerne les évaluations individuelle et collective.
[6] Traitement des informations.
[7] Prise de décision.
[8] Le goulot d’étranglement est un mécanisme cognitif qui limite la quantité d’informations pouvant être traitées à un moment donné. Ce mécanisme opère une sélection parmi les informations lui parvenant.
[9] Laurent Favarel, « Sophrologie, pratiques et perspectives n°17 », Concentration et biathlon, Hommell, 2017
[10] François Maquestiaux, « Psychologie de l’attention », Editions Deboeck, 2017
[11] F.Lestienne et A.Feldman, Sciences et motricité N°45 p16, Editions Deboeck, 2002
[12] S.Colson, Sciences et motricité N°85, Editions Deboeck, 2014
[13] « Secret d’athlètes, Asafa Powell », Arte, 2007/Institut Japonais des sciences du sport à Tokio
[14] Course en montagne
[15] P.A.Chéné, Sophrologie, tome 1- p69, Editions Ellébore 2008
[16] E. Jacobson, Savoir relaxer pour combattre le stress, p187, Editions de l’homme, 1980
[17] Relaxations dynamiques : activations de sophrologie permettant de chasser les sensations liées au stress
[18] Lev Vygotsky, « Pensée et langage », Editions La dispute, 1997.
[19] Le Figaro.fr, Sport 24 du 08/06/2019, Turquie 2 – France 0

Crédits photo : Valentin Humbert par Benjamin Griveau.