La cohérence cardiaque a le vent en poupe auprès des sophrologues, à en croire les formateurs de cette discipline qui ont du mal à répondre à la demande. Alors, pourquoi cette technique s’est-elle tant développée ces dernières années, quel intérêt et quelle complémentarité avec la sophrologie propose-t-elle ? « La cohérence cardiaque à induction respiratoire » n’est pas un état sophro-liminal !

Il existe différentes façon de se mettre en cohérence : le yoga, la méditation, le chant, la prière… permettent d’atteindre un état de cohérence cardiaque. De même que l’évocation de certaines émotions agréables comme l’empathie, la compassion, la gratitude, la joie, associées à la respiration, et que nous utilisons régulièrement en sophrologie.

Cependant, la pratique qui nous intéresse en tant que praticiens et thérapeutes, et qui nous est proposée dans la plupart des centre de formation, est celle qui a été développée et depuis 1949 et étudiée de façon scientifique (11 000 études depuis 1949). Il s’agit de la cohérence cardiaque à induction respiratoire. Pour bien comprendre ce dont on parle et éviter des confusions fréquentes, voyons dans un premier temps ce qu’est la cohérence cardiaque à induction respiratoire. L’activité cardiaque est naturellement irrégulière. Elle se caractérise par une oscillation permanente de l’activité cardiaque ente le sympathique et le parasympathique. C’est ce que activite_cardiaque_courbesl’on appelle la variabilité cardiaque. C’est une fonction physiologique observable et mesurable. Plus simplement, notre coeur alterne en permanence entre accélération et ralentissement, pour s’adapter à l’environnement interne (variations de la pression artérielle) et à l’environnement externe (situations, émotions…). La variabilité cardiaque reflétant ainsi la capacité d’adaptation de l’organisme, c’est aussi un marqueur de santé, tant physiologique que psychologique. On détecte chez les personnes stressées des fréquences cardiaques plus régulières que chez les non-stressées ! Et un enregistrement de l’activité cardiaque du sujet montrant un effondrement de la variabilité par rapport aux séances précédentes indique que le sujet est en train de passer en Burn Out ou de développer une maladie. La cohérence cardiaque, elle, est un état particulier de cette variabilité. Elle est non naturelle, mais obtenu par une induction respiratoire :

La respiration 5/5 utilisée, 5 temps pour l’inspir et 5 temps pour l’expir, à raison de 6 fois par minutes. Ce type de respiration tend à renforcer et réguler la variabilité cardiaque en la stabilisant autour d’une fréquence de 0,10 Hz. On parle alors de résonnance cardiaque. La courbe sur l’enregistrement devient alors « cohérente »

La respiration : le cheval de Troyes du Système Nerveux Autonome

Mais comment la respiration peut-elle impacter sur l’activité cardiaque et le système nerveux autonome ? Le système cardiaque, le système respiratoire et le système vasculaire assurent tous trois l’apport en nutriments nécessaire à l’organisme. Pas étonnant qu’ils soient étroitement liés. La fonction cardiaque, respiratoire, ainsi que d’autres fonctions vitales comme la digestion, ont un fonctionnement autonome, indépendante de notre volonté. Grâce aux capteurs de pression artérielle (barorécepteurs) situés sur l’aorte et la carotide, les variations de la PA (pression artérielle) sont détectées en permanence. A l’inspiration, quand la pression baisse à l’intérieur de la cage thoracique, le coeur accélère (nerfs ortho-sympathiques) pour maintenir la quantité de sang dans l’organisme. Lorsque la pression augmente à l’expiration, il ralenti (nerf vague parasympathique). C’est le mécanisme de baroréflexe. Le rythme respiratoire a donc un impact direct sur le rythme cardiaque et sur les fonctions parasympathiques. On comprend mieux dès lors les techniques d’allongement de l’expir utilisée en sophrologie pour la gestion du stress.

Cohérence cardiaque : calme et stabilité instantanés

Reste à comprendre ce qui différencie un état de cohérence cardiaque de l’état sophroliminal induit par le(la) sophrologue. Cet état très proche du sommeil, auquel aboutit la Sophronisation avant l’activation, est un niveau de conscience particulier, au bord du sommeil, caractérisé par une grande sensibilité, auquel est souvent associée une posture qui soutient la corporalité et évite l’endormissement. C’est là que s’effectue en principe le travail sophrologique. Mais que se passe lorsque l’émotion ou le stress se manifestent dans les situations de la vie quotidienne, par exemple avant de prendre la parole en publique ? Pendant un examen ? Ou face à un très gros stress ? Difficile alors de s’asseoir une demi -heure pour pratiquer une sophronisation. Tout sophrologue le sait bien, et c’est pourquoi nous proposons souvent également des outils rapides de gestion du stress : allongement de l’expir, SDN, techniques d’ancrage d’une image ressource, Jakobson, détente musculaire associée à la respiration… Autant de techniques qui permettent de limiter notablement les effets physiologiques du stress et de rétablir un état d’homéostasie. Néanmoins, la mise en place de ces réflexes d’auto-gestion du stress demande la plupart du temps plusieurs séances et un entrainement régulier avant de pouvoir être efficaces en toutes circonstances. A son avantage, l’apprentissage de la cohérence cardiaque est facile et rapide, présente des effets physiologiques et psychologiques immédiats, ainsi que des effets à moyen terme : manifestations parasympathiques comme une diminution de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle (rapport DHEA/Cortisol), un recentrage, une impression de prise de distance et de lâcher prise, une neutralité émotionnelle, une baisse du niveau de stress ressenti. Tout ceci sans avoir recours à un état de conscience modifié (baisse de vigilance), et avec des effets persistants durant quelques heures après la pratique. Autre point fort : pas besoin d’interrompre son activité ni de s’isoler pour pratiquer, une fois la technique bien intégrée.

Le relevé ci-dessus montre d’abord l’activité cardiaque d’un sujet au niveau sophroliminal pendant une SBV (2 premières minutes), suivi d’une modification instantanée de son activité cardiaque « en cohérence » lors du passage en respiration 5/5 à 6 cycles par minute (à partir de 2 minutes). Le passage en cohérence cardiaque est clairement identifié sur le diagramme du bas, avec une courbe qui grimpe dans les zones de haute cohérence (zones jaune et verte).

Le relevé ci-dessus montre d’abord l’activité cardiaque d’un sujet au niveau sophroliminal pendant une SBV (2 premières minutes), suivi d’une modification instantanée de son activité cardiaque « en cohérence » lors du passage en respiration 5/5 à 6 cycles par minute (à partir de 2 minutes). Le passage en cohérence cardiaque est clairement identifié sur le diagramme du bas, avec une courbe qui grimpe dans les zones de haute cohérence (zones jaune et verte).

Diverses applications pour le sophrologue

Il n’est bien sûr pas question de faire un choix entre sophrologie et cohérence cardiaque, mais de rechercher comment ces deux techniques peuvent être complémentaires sans se court-circuiter. Dans certains cas, la cohérence peut présenter un intérêt en amont de l’entrainement sophrologique.

Il m’est arrivé de travailler en séance avec des personnes qui ne voulaient pas entendre parler de relaxation. Cela se traduisait par une résistance au « lâcher prise » phénoménologique et par une difficulté à descendre au niveau sophroliminal. Ces personnes avaient par ailleurs besoin d’intellectualiser leur démarche et cherchaient un discours rationnel à « plaquer » sur l’expérience vécue en séance. Plutôt que de chercher à imposer la détente ou à combattre leur résistance, je leur ai proposé dans un premier temps une approche de la respiration au moyen de la cohérence cardiaque. Grâce à l’enregistrement de leur activité cardiaque, elles pouvaient visualiser en temps réel l’évolution de leur rythme cardiaque au moment où elles modifiaient leur respiration. Elles ont pu constater également, en évoquant sur demande un souvenir pénible, que le rythme s’accélérait et redevenait chaotique. S’ensuivait peu à peu une prise de conscience du rapport corps/esprit et de l’influence inverse des émotions négatives ou positives, qu’elles ne soupçonnaient pas auparavant. A partir de ce moment, elles ont plus facilement accepté de se détendre et de se centrer sur leurs sensations corporelles.

La cohérence cardiaque a également son intérêt en complément d’un travail de fond préalable en sophrologie. Elle permet d’accélérer la mise en place d’un état émotionnellement stable en situation de stress (compétition, examen, prise de parole), que les praticiens en cohérence appellent la « crise de clame ».

J’ai pu constater, chez les étudiants qui pratiquaient la cohérence cardiaque en plus de la sophrologie, une meilleure gestion de leurs émotions au moment des épreuves d’examen et une plus grande facilité à mobiliser leurs ressources d’ancrage apprises en sophrologie. Inversement, l’entrainement sophrologique aux techniques de visualisation (lieu ressource, objet neutre…) donnent d’excellents résultats pendant les séances de cohérence cardiaques avec visualisation, augmentant encore l’efficacité de la CC.

Enfin, la cohérence cardiaque étant un marqueur de santé fiable, elle peut être utile au médecin-sophrologue pour dépister ou confirmer un diagnostic d’épuisement professionnel (burn-out).

En conclusion, l’engouement récent pour la cohérence cardiaque chez les sophrologues ne trompe pas : il y a vraiment un intérêt à conjuguer les deux approches, pour le client comme pour le praticien. La sophrologie propose un traitement de fond en 3 dimensions de la demande (passé, présent, futur), mettant en avant les valeurs autant que la corporalité du sujet, tandis que la cohérence s’intéresse exclusivement et ne gère que l’instant présent, avec une efficacité étonnante. Il y a donc peu de chance que l’une entre en concurrence avec l’autre, ces deux techniques ont tout intérêt à se rapprocher. A chacun d’être créatif avec les outils dont il dispose, dans le respect de la déontologie et de l’esprit sophrologique. N’est-ce pas un des plaisirs majeurs de notre métier ?

Crédit photo : Pixabay.com.