Dans un premier souffle, nous poussons un cri qui nous envoie dans la vie. À l’autre bout, à la dernière heure nous poussons un soupir qui nous envoie à la mort. Entre ces deux pôles, tout ce qui arrive n’est pas à l’avance tracé et l’on a beau vouloir faire de sa vie un long fleuve régulier, nous sommes toutes et tous, de de près ou de loin assujettis à une existence balisée de contraires parfois violents.

L’Homme est ainsi fait qu’il est tout et son contraire. L’homme est ainsi fait qu’il dit tout et son contraire. L’homme est ainsi fait, qu’il fait tout et son contraire.

Je suis un être humain…

Et j’aimerais être une belle personne, bien dans sa vie, heureuse autant que possible. Ni plus ni moins que chacun d’entre nous. Souhait d’une banalité rassurante. Mais aussi, je comprends l’aspect aléatoire de ce désir et il m’apparait qu’il est plus juste d’admettre l’existence de ces vents contraires plutôt que de les nier.

Je suis un être humain…

Je nais je meurs. De mes deux mains je construis de mes deux mains je démantèle. De tout mon être je peux aimer de tout mon être je peux haïr. Je cultive je délaisse. Je garde foi je renonce. J’accompagne j’abandonne. Je donne je prends. J’embrasse je crache. Je parle je fais silence. Je ris je pleure. Je suis brave je suis lâche. Je suis loyal(e) je peux trahir. Je trouve je perds. Je suis en pleine santé je suis malade. Je casse je répare. Je gambade de joie je me couche de tristesse. Je suis riche je m’appauvris. Je suis juste je suis injuste. Je dis oui je dis non. Je suis solide je suis friable. Je me méfie je m’aventure. Je donne la vie et je peux la briser aussi.

Sans doute que personnellement, je ne suis pas passée par tout cela. Mais dans un recoin de mon cerveau, je conserve l’idée que de faire partie de l’humanité c’est bel et bien prendre le risque de voir ces antipodes prendre corps. Ce rude constat m’assure cependant une certaine modestie et m’entraine à rester fière de mon statut de bipède terrien tout en gardant tête basse.

Lorsque je me sais susceptible, parce qu’humaine, de naviguer entre tous ces contraires selon les aléas de l’existence, les concours de circonstances, le lieu de ma naissance, mes choix, les hasards, l’histoire personnelle de vie mais aussi ma préhistoire, lorsque je ne m’élève pas au rang de l’être possiblement parfait ou grand virtuose de la vie, je me donne davantage les moyens de me situer dans la zone du meilleur plutôt que du pire.

Cette courte séance propose, que « le contraire » fonctionne aussi bien dans un sens que dans l’autre. Chaque fois que nous vivons quelque chose que nous n’aimons pas, chaque fois que nous sommes qui nous ne voulons pas être, il peut se passer autre chose. De mieux, de bon, de nourrissant et de positif. Ce peut être quelques minutes, quelques heures, quelques mois, quelques années plus tard. Savoir naviguer entre les vents contraires c’est une manière de « voyager sa vie » avec davantage de lucidité.

Naviguer entre les vents contraires…

« D’un contraire à un autre »

Je prends le temps de me placer confortablement sur mon siège, dans la posture qui me convient le mieux. Je ferme les yeux pour accueillir en tout tranquillité ma présence. J’inspire par le nez, je souffle par la bouche… Tout en allongeant mes temps d’expiration, je laisse mon corps se détendre peu à peu… De mon crâne jusque sous la plante de mes pieds, de la plante de mes pieds jusque dans mon visage… ça respire …

Je prends conscience de la présence de ma respiration et de la vie qui circule en moi. (silence)

Je reprends une respiration naturelle et je laisse venir à mon conscience l’image d’un pont. Pour cette séance, ce pont va symboliser le chemin de vie qui nous mène d’un contraire à un autre. Je prends quelques instants pour le planter dans un décor qui me convient et je lui donne la taille, les matériaux, la hauteur que je veux. (silence)

Quand mon pont imaginaire est construit, je m’avance et me situe devant l’une de ses extrémités à quelques pas de lui. À cet endroit précis, devant, et pas encore sur le pont, les pieds bien ancrés au sol, je me déroule un événement qui m’a laissé une sensation d’insatisfaction. Dans cette visualisation, je m’autorise à être peu fier(e) de moi, voire même mécontent(e) de moi ou d’autres personnes si je considère que je ne suis pas seul(e) responsable. Ce peut être un moment banal de la vie quotidienne, ou un moment plus conséquent. Simplement, je ne suis pas dans l’approbation de ce qui s’est passé. Je regarde cela quelques instants avec le plus de recul possible. (silence)

Maintenant je monte sur le pont et je me mets à marcher lentement vers « l’exact contraire » de ce je viens de jouer. Tout en marchant avec assurance, je respire amplement, je reprends contact avec mes points d’appuis sur le siège, je reprends contact avec le cycle de ma respiration… ainsi qu’avec le cycle de la vie… Plus je marche, plus je sens mon corps et mon esprit soutiens l’un de l’autre, arriver sans encombre vers l’opposé du ressenti de ma situation de départ. Si au départ du pont je me suis senti(e) faible, je vais toucher la force à l’autre extrémité, si j’ai été envahie de tristesse je vais toucher la plénitude de la joie, si je me suis sentie incompétent(e) je vais toucher la confiance, si je me suis trouvé(e) irrité(e) je vais toucher la sérénité etc… Je me laisse quelques instants pour traverser mon pont et me remplir des « contraires positifs » qui sont sur mon chemin. (silence)

Arrivé(e) à l’autre bout du pont, je redescends, je me place devant lui et avec ma respiration, je corporalise les sensations agréables qui sont tout aussi justes, tout aussi possibles et légitimes que les précédentes. A l’inspir je me remplis de ces sensations positives et de tous ces espoirs à portée de moi, à l’expir j’ancre la satisfaction dans mon corps. A l’inspir je m’enveloppe de toutes les possibilités offertes par l’existence, à l’expir j’en fais cadeau à chacune de mes cellules.

Je laisse maintenant disparaître l’image, provisoirement. J’ai construit ce pont, il m’appartient. Il m’appartient aussi de constater que dans un sens ou dans un autre, d’un contraire à l’autre, le chemin est possible.  

Je me prépare à retrouver mon tonus et mon niveau de conscience habituels, tranquillement, à mon rythme. Je reprends conscience de ce qui m’entoure, les sons, les lumières… Je remets en mouvement chaque partie de mon corps, en commençant par mes pieds, et jusqu’à ma tête pour retrouver mon tonus musculaire. Je respire un peu plus fortement, je m’étire, je baille si j’en ai envie, et quand c’est le moment pour moi, j’ouvre les yeux.

 

Merci à Frédéric Schiffter source d’inspiration de cet article