Comme à chaque fois que je me promenais sur ce chemin, la nature était éclatante et tendre à la fois. L’air était bon, printanier. J’arrivais apaisée devant le champ plongeant sur les collines et m’asseyais confortablement sur son tapis de fleurs sauvages. Je m’adossais contre le tronc puissant du chêne qui régnait majestueusement sur la nature environnante.

Mon corps se détendit instantanément à son contact. Je frémissais et soupirais agréablement en passant délicatement ma main dans l’herbe épaisse, dont les brins, d’un vert vif et brillant, humidifièrent mes doigts.

Un subtil mélange de parfums de fleurs imprégnées de rosée, de terre et d’herbe recouvrit alors un court instant l’odeur de l’hôpital.

Et pourtant bien au bloc opératoire

Mon corps était étendu face à la table d’opération, bien en appui, je respirais paisiblement et je veillais régulièrement à ce que tous mes muscles restent décontractés.

Je me sentis confiante et détendue quand l’infirmière m’indiqua qu’elle allait anesthésier localement la région lombaire d’une voix douce et rassurante.

Je l’avais prévenue que je resterais en état de relaxation, yeux fermés, tout au long de l’intervention.

Je ne sentis pas l’aiguille de la seringue, j’étais absorbée par les nuages vaporeux qui défilaient dans le ciel face à moi comme s’ils emportaient avec eux toutes mes appréhensions. Je fus surprise quand elle m’annonça que c’était fini.

L’hématologue entra à ce moment-là dans la pièce, silencieux, je percevais sa présence discrète malgré sa taille imposante, il était si grand, j’entrouvris les yeux et découvris son visage impassible comme la première fois, sûrement un masque qu’il prenait pour éviter de montrer ses émotions, peut être sa façon à lui de se protéger des angoisses des patients ?

Il m’avait expliqué l’intervention précédemment. Une biopsie osteomédullaire. Un examen court et sans danger mais qui m’était inconnu. J’avais simplement lu qu’à l’aide d’un trocart (une seringue spéciale assez grosse) serait aspiré un échantillon de moelle osseuse pour l’analyser.

J’avais identifié mes peurs, d’abord le fait que cette énorme et longue seringue pénétrerait ma chair et mes os et puis les bruits provoqués par l’opération, je suis très sensible aux sons.

Il m’informa alors qu’il allait procéder au prélèvement de moelle osseuse en perçant l’os iliaque et que ça ne durerait que quelques minutes en me priant de rester immobile le temps de l’acte chirurgical. J’acquiesçais d’un sourire auquel il ne répondit pas, peut-être était il concentré ou bien craignait il de me donner de faux espoir sur les résultats à venir ? Mon cœur battit plus fort et mes fesses se crispèrent. J’arrêtais alors mes pensées inutiles en refermant les yeux, je retournais au pied de mon chêne, je rallongeais mes expirations et appuyais progressivement mon ventre contre la table sur l’inspiration.

Je sentis les écorces de mon arbre, son tronc me soutenir solidement et mon corps se laissa aller totalement. Je ressentais un calme profond, bercée par la brise qui se leva, et retrouvais la fraîcheur de l’herbe entre mes doigts, un papillon virevoltait autour de moi et le ciel se teintait de rose…

(Inspiration).

Il passa un désinfectant sur la zone concernée et incisait.

(Rétention d’air). D’une voix lointaine je l’entendis murmurer nerveusement qu’il avait du mal à percer l’os iliaque, (inspiration), je sentais l’air frais sur mon visage mon regard fixant l’horizon, mon bassin se souleva et retomba sur la table un peu brutalement à plusieurs reprises, (rétention d’air), je gardais le corps totalement relaxé, (expiration).

Concentrée, je continuais de conduire ma respiration en 4 temps ralentissant le rythme respiratoire. (Pause à poumon vide).

Je sentais mon dos en appui contre le chêne, je frôlais un pissenlit, (inspiration) le cueillais en contemplant ses aigrettes blanches vaporeuses. (Rétention d’air) Je l’entendis maintenant affirmer qu’il était en train de prélever l’échantillon. (Expiration) Je soufflais délicatement pour que les akènes à plumes de la fleur s’envolent… (Récupération).

Il s’exclama que c’était terminé, j’entendis son sourire et soupirais admirant alors les akènes à plumes disparaître peu à peu, alors qu’il posait une compresse sur le bas de mon dos, dans le ciel bleu, orangé, rose… Je pris conscience des paumes de mes mains, de ma tête, de mes jambes, de mon corps maintenant… Je respirais plus fort puis m’étirais lentement avant de rouvrir les yeux.

Restée relaxée, facilita l’intervention.

L’infirmière me félicita gentiment d’avoir gardé mon calme lorsqu’ils avaient rencontré quelques difficultés pour introduire l’appareil et d’être restée relaxée, ce qui avait facilité l’intervention.

Je me tournais vers l’hématologue. Il esquissa un sourire, je lui souris et sentis une agréable chaleur envahir ma poitrine. Son visage me sembla plus doux, il me tendit la main, je descendis de la table et posais mes pieds au sol, je retrouvais ma verticalité, mon équilibre. Je quittais l’hôpital marchant tranquillement en regardant autour de moi avec la satisfaction d’avoir participé activement à mon examen en ayant recours à toutes mes ressources pour le vivre au mieux et non le subir. J’étais alors responsable de mon état de confiance et de sérénité à cet instant.

Je pris mon temps pour m’installer en voiture, fermais les yeux (pause d’intégration), je pris plusieurs respirations profondes, ouvris les yeux et démarrais.

Mon image ressource, le 20 juillet 2013.