Science de la conscience ou science de l’âme… positive ?

Actuellement, certaines disciplines semblent avoir le vent en poupe. Il en va ainsi de la sophrologie et de la psychologie positive ; c’est tant mieux ! Toutefois, face à la multiplicité des articles, des reportages et des intervenants, il semble intéressant de porter un éclairage à la fois explicatif et comparatif sur deux disciplines… parfaitement complémentaires.

Il s’avère que les deux disciplines comportent une multitude de points communs, en raison :

  • de leur relative récence,
  • des conditions de leur genèse
  • des buts et des objectifs qu’elles poursuivent.

1) Leur relative récence

Les deux disciplines sont relativement récentes : l’on considère que la sophrologie a véritablement émergé en 1963 grâce au professeur Alfonso Caycedo, neuropsychiatre ; la Psychologie Positive, quant à elle, a vu le jour en 1998, grâce à Martin Seligman, docteur en psychologie. Les deux disciplines sont donc espacées de 35 ans, autrement dit de rien, à l’échelle de l’histoire des sciences humaines !

Pourtant, elles puisent toutes les deux leurs sources dans des racines anciennes, aussi bien occidentales, qu’orientales :

  • l’Antiquité grecque classique, et notamment Platon et Aristote
  • des maîtres spirituels ou des grands penseurs (philosophie des Lumières…)
  • les approches psychologiques humanistes
  • les neurosciences et la psychiatrie moderne
  • le bouddhisme
  • la pensée zen
  • et plus largement, la « réconciliation » entre le corps et l’esprit au travers d’approches spécifiques (le yoga, par exemple, a fortement influencé certaines techniques de sophrologie).

2) Les conditions de leur genèse

Le Professeur Alfonso Caycedo, comme le Dr Martin Seligman ont, tous deux, porté un regard à la fois critique et objectif sur les pratiques en vigueur :

  • Le professeur Alfonso Caycedo constatait à la fois l’inadéquation ou la lourdeur des traitements face à certaines pathologies. Rappelons que la sismothérapie (autrement dit, l’électrochoc) ou le coma insulinique représentaient des réponses thérapeutiques fréquentes dans les hôpitaux psychiatriques. De plus, le divorce entre le corps et l’esprit était bien consommé : il y avait, d’un côté, la psychiatrie, la psychanalyse ou la psychologie et, de l’autre, des disciplines corporelles, (re)découvertes, notamment par le mouvement New-Age. Mais la scission était bien présente, étayée par des siècles de pensées dogmatiques.
  • Le Dr Martin Seligman constatait que la psychologie s’était trop longtemps intéressée à la souffrance, aux troubles et aux maladies psychiques, sans s’attacher aux facteurs protecteurs des pathologies et aux ressources individuelles de l’être humain, pour son bien-être physique, psychologique et social.

Des facteurs historiques (les guerres…) et sociétaux (le secours, l’aide aux personnes) nous permettent de comprendre pourquoi la psychologie s’est longtemps « limitée » à la seule prise en charge de la détresse psychique. Nul ne peut nier les avancées remarquables et les batailles remportées par la psychologie sur bon nombre de maladies (dépression, crise d’angoisse…). Mais il semblait désormais nécessaire de s’attacher à « ce qui fonctionne  » plutôt qu’à « ce qui ne fonctionne pas ». De la même manière, l’histoire nous permet de comprendre pourquoi, pendant si longtemps, le corps a été déconnecté de l’esprit : la démarche intellectuelle a été fortement valorisée au détriment du corps et, comme le souligne le Dr Thierry Janssen, « nous sommes les héritiers de 2000 ans d’histoire occidentale et chrétienne  (…) le corps lieu de pulsion, de désir et de plaisir a été diabolisé (…) On a longtemps abordé le corps à travers une démarche intellectuelle et, de ce point de vue, la psychanalyse n’a pas aidé à l’approche du corps, car on parlait uniquement de lui mais sans l’occuper et le vivre ».

Le Professeur Alfonso Caycedo, comme le Docteur Martin Seligman ont, tous deux, fait preuve de lucidité et d’une grande ouverture d’esprit, pour synthétiser et enrichir les démarches scientifiques existantes, sans pour autant les niveler voire les renier.

Ainsi, à ce que l’on pourrait appeler la « psychologie négative », le Docteur Seligman a adjoint une discipline innovante : la psychologie positive. Nous pourrions dire que la psychologie s’est enrichie d’une échelle : de l’échelle des maux (exemple de 0 à -8), l’on passe désormais à une échelle de potentiels ou de ressources (exemple de 0 à +8). Le Docteur Martin Seligman définit la Psychologie Positive de la façon suivante : « c’est l’étude scientifique du fonctionnement optimal de l’homme – étude qui vise à découvrir et à favoriser les facteurs permettant aux individus et aux communautés de s’épanouir » .

Le Professeur Alfonso Caycedo, quant à lui, a véritablement fusionner deux « pôles » : le corps et l’esprit. En caricaturant, nous pourrions dire que le corps était considéré comme le pôle négatif et l’esprit comme le pôle positif. L’on assiste, grâce à la sophrologie, à l’union du corps et de l’esprit ; certains sophrologues parlent d’ailleurs d’union entre le courant oriental (le corps y a toujours été valorisé) et occidental (où l’esprit a été fortement valorisé, au détriment du corps).

Définition de la sophrologie (1960) selon le Professeur Alfonso Caycedo : « c’est une méthode scientifique qui étudie la conscience, ses modifications et les moyens pouvant la modifier, dans un but thérapeutique, prophylactique ou pédagogique ».

3) Les buts et les objectifs poursuivis par les deux disciplines

La sophrologie peut donc aussi bien poursuivre des objectifs thérapeutiques et pédagogiques, qu’existentiels (en tant que philosophie de vie) : l’une n’étant évidemment pas opposée à l’autre.
Ainsi, parmi les principes fondamentaux de la sophrologie, il y a le principe d’action positive, qui figure souvent parmi le plus cité. A travers ce principe, l’on considère que « toute action positive dirigée vers la conscience se répercute positivement sur toutes les structures de l’être ». Ainsi, l’activation répétée du positif provoque un « effet boule de neige » sur toute la personne.

Les champs d’application, quant à eux, sont très étendus : la clinique, la pratique sociale, la pédagogie, le développement personnel… Comme chacun le sait, la sophrologie peut être pratiquée en séance individuelle ou en séance collective. Enfin, elle s’inscrit dans les démarches thérapeutiques courtes.

Dès lors, il sera inutile de présenter un argumentaire étayé pour comprendre la complémentarité des objectifs poursuivis par les deux disciplines.

Ainsi, la psychologie positive se consacre aux aspects positifs de la vie humaine (le bonheur, le bien-être, l’épanouissement…), en s’intéressant précisément à trois niveaux :

  • le niveau subjectif : « comment se sentir bien »
  • le niveau individuel : les qualités personnelles, les éléments de la vie
  • le niveau de groupe : l’éthique, les valeur d’une société, les rapports sociaux.

L’on comprendra aisément que les champs d’application de la psychologie positive sont, eux aussi, très étendus : vie personnelle, vie professionnelle, vie de couple, éducation, éthique et valeurs sociales, neurosciences…

A l’instar de la sophrologie, elle peut se pratiquer en séance individuelle, ou, parfois, en séance collective. Enfin, elle s’inscrit également dans les démarches thérapeutiques courtes, non analytiques.

Un tableau qui semble donc particulièrement… positif !

Toutefois, pour être objectif, l’on pourrait avancer trois critiques principales face aux deux disciplines :

  • le risque de sectarisme ou d’idéologisation (avec des dérives, toujours possibles, notamment sur le plan de l’éthique et du professionnalisme des praticiens : voir, pour cela, mon article sur “la posture juste du sophrologue”),
  • le danger des confusions et les amalgames : psychologie positive et pensée positive, sophrologie/soins corporels ou relaxation. Ainsi, il m’est déjà arrivé d’entendre en préambule d’interventions publiques : « je ne crois pas aux énergies et au magnétisme » ou « j’ai déjà fait du yoga, c’est pareil » ou « ah oui, la psychologie positive, c’est comme la méthode Coué” etc.
  • la « tyrannie » de la culture positive. Celle-ci est particulièrement présente actuellement et, rappelons-le, peut être très pernicieuse en termes d’estime de soi et de culpabilité,  notamment… quand la réussite ou le bonheur tant convoités ne sont pas forcément au rendez-vous.

Parole à la défense !

  • Une science est nécessairement objective et évolutive. Aussi, les deux disciplines, qui, rappelons-le, relèvent d’une démarche scientifique, doivent évidemment s’inscrire dans cette logique afin d’échapper à la première critique. La création d’instances officielles (associations représentatives ou informatives…) représente également un bon rempart contre les dérives de tout ordre.
  • Il est désormais prouvé que les circonstances que nous vivons et, surtout, les émotions que nous leur associons, modifient notre état de santé (en particulier certaines connexions neuronales ou certaines fonctions). En outre, la communauté scientifique s’ouvre de plus en plus sur des pratiques, parfois ancestrales comme la médecine traditionnelle chinoise, la médecine ayurvédique, les soins énergétiques etc. La sophrologie comme la psychologie positive, en tant que sciences, s’intéressent à ces pratiques (et les intègrent parfois)… pour autant, il ne s’agit pas d’y intégrer « tout ce qui fait du bien » ou tout ce qui est « commercialisé » comme tel. De telles dérives mercantiles s’observent ici ou là… La formation, la déontologie et, surtout, la pratique des professionnels seront d’ailleurs les meilleurs arguments face aux dérives de toutes sortes et aux rumeurs !
  • En sophrologie, comme en psychologie positive, il ne s’agit nullement d’ignorer le négatif, pas plus que de l’activer (chaque être humain sait parfaitement activer “ce qui ne va pas”, n’est-ce pas ?! L’humain est, en ce sens, parfaitement bien doté !). Au contraire, dans les deux disciplines, il s’agit de se focaliser sur les aspects positifs et la démarche résulte d’un processus d’entraînement, vis-à-vis de notre passé, de notre présent et de notre futur. En revanche, et pour éviter de tomber dans la tyrannie du positif, il convient d’accepter que, parfois, ce n’est temporairement pas possible d’adopter cette posture. (*) : J’apprécie tout particulièrement le précepte énoncé par B. Gracian dans l’Art de la Prudence : « Il faut autant d’habileté au médecin pour ne pas ordonner que pour ordonner ; et quelquefois la finesse de l’art consiste davantage à ne point appliquer de remède ». 
    • Cultiver les éléments positifs de nos vies, ce n’est pas appeler le bonheur comme on appellerait un chien ; ce n’est pas attendre que le “positif” nous tombe du ciel… sinon nous risquerions d’attendre très longtemps ; ce n’est pas non plus dire “je suis le plus fort et le meilleur, la loi d’attraction fait son oeuvre et tout se passera bien” !

“Chacun a ses propres instants de bonheur ; il suffit d’en multiplier la conscience et les occasions”

Cette belle citation d’Albert Memmi résume à elle seule l’intérêt et l’esprit des deux disciplines.

La sophrologie est la science de la conscience et la psychologie positive est considérée comme la science du bonheur. Pour autant, sous des vocables séducteurs, ces deux disciplines ne sont pas pour autant toujours simples dans la pratique, voire simplistes dans leurs aspects théoriques.

Pour le patient / client, la démarche vers l’une ou l’autre discipline ne s’improvise pas et doit être sécurisée autour de quelques points clés : sophrologie ou psychologie positive nécessitent d’être exercées par un professionnel dûment formé, scrupuleux, répondant à une déontologie. Si le praticien est membre d’une association reconnue, s’il publie, intervient auprès d’instances accréditées, par exemple, il s’agit là de garanties supplémentaires.

(*) Certaines recherches de psychologie positive mettent en avant les aspects positifs de certaines émotions négatives.

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