A l’heure où la pensée et les slogans positifs fusent, parfois de façon excessive, voilà maintenant une « éloge » aux émotions négatives. C’est à ne plus rien y comprendre ! Le titre relève effectivement de la provocation, a fortiori sur un site dédié à la sophrologie ! Mais pas du tout !

Pour commencer, rappelons que la sophrologie s’articule autour de principes fondamentaux comme la réalité objective, le schéma corporel, le schéma existentiel, l’adaptabilité et le principe d’action positive ; ce dernier principe est particulièrement important… car en sophrologie on ne travaille pas sur le négatif mais sur le positif. Pour autant, l’on n’ignore pas la dimension négative, car elle fait partie de la vie même : l’existence toute entière est une alternance d’événements heureux et malheureux, de faits, de pensées ou de sentiments positifs et négatifs.

Dans cette quête du mieux-être, il est désormais établi que certaines émotions négatives ont elles-mêmes, un impact positif sur l’homme. C’est ce qui mérite d’être développé ici, sous le regard de la sophrologie.

Connaître les jours malheureux

Car il y en a où rien ne réussira (…) Mais l’homme prudent ne doit pas prononcer définitivement qu’un jour est heureux, à cause d’un bon succès ; ni qu’il est malheureux, à cause d’un mauvais ; l’un n’étant peut-être qu’un effet du hasard et l’autre du contretemps ».
L’Art de la Prudence – Baltasar Gracian, (1601 – 1658)

Ce livre, véritable chef-d’oeuvre, constitue un véritable compagnon de vie en bien des circonstances. En l’espèce, dans ce court extrait de la maxime 139, Baltasar Gracian nous indique deux choses :

  1. qu’il est nécessaire de connaître des jours malheureux
  2. que le bonheur comme le malheur sont intermittents ; l’un servant en quelque sorte, l’autre.

Tout dans la vie est donc intermittent. Les bouddhistes parlent de l’impermanence de toute chose. En fait, tout ce qui sert à la vie nous est offert en double ou, plutôt de façon dichotomique (du grec « couper en deux ») : par exemple, le cycle nuit/jour, les processus physiologiques (l’inspiration/l’expiration), l’anatomie (les membres : deux bras/deux jambes, le cerveau avec ses deux hémisphères) etc. Et il en va de même avec le malheur et le bonheur.

Ce premier point semble indéniable. Cependant, en quoi est-il vraiment bénéfique de connaître des jours malheureux, de vivre des émotions négatives, de se sentir coupable, triste, nostalgique… ?

Dans un vaste ouvrage consacré aux émotions positives, Barbara L. Frederickson démontra qu’une existence véritablement heureuse est généralement constituée de ¾ de « positivité » et de ¼ de« négativité ». Un rapport trop élevé de « négativité » conduit à des états d’apathie, à des remises en question plus ou moins profondes voire à des états dépressifs. A l’inverse, un rapport trop élevé de « positivité » peut s’avérer contre-productif voire dangereux.

« Un quart de négatif, s’il-vous plaît ! » (*)

Les émotions négatives ont précisément 4 effets positifs :

1) Elles peuvent générer des changements profonds de personnalité.

2) Elles nous permettent souvent de partir à la découverte de potentiels personnels, de capacités ou de ressources enfouies. Par exemple, nous connaissons tous une personne qui, sous l’effet de circonstances difficiles, a décidé de partir à la découverte de soi, d’amorcer un virage personnel ou professionnel, de changer tout simplement.

3) Elles peuvent nous engager dans une meilleure ouverture aux autres :

  • en affûtant nos capacités de compréhension, de sagesse, de connaissance de soi
  • en développant des comportements pro-sociaux basés sur l’empathie, l’altruisme, l’éthique…

4) Nous faire prendre conscience de la fragilité de la vie et de la fragilité du bonheur, donc de la nécessité de respecter l’un et l’autre.

 

(*) L’abus de négatif est dangereux pour la santé. A consommer avec modération !

Le contenu du quart

Il n’est évidemment pas question de (se) souhaiter des épreuves ou des circonstances de vie difficiles ! De plus, il semble compliqué de sélectionner, ici, les émotions négatives susceptibles de présenter un intérêt pour notre épanouissement. Toutefois, l’on sait que les émotions négatives qui nous ramènent à nous-mêmes, à notre intériorité, sont davantage salutaires que celles qui nous en éloignent.

Nous savons qu’une émotion positive orientée vers les autres, comme l’altruisme par exemple, est bien plus bénéfique -pour soi et pour les autres- qu’une émotion positive auto-centrée (un égo autocentré témoigne d’ailleurs d’un égo fragile). A l’inverse, une émotion négative orientée vers soi semble bien plus bénéfique qu’une émotion négative uniquement orientée vers les autres.

Parmi les émotions négatives orientées vers soi, il y a notamment :

[list list_items=”la tristesse,la culpabilité,les regrets,la nostalgie…” icon=”fa-icon-ok” icon_bg_color=”#2ecc71″ icon_bg=”square”]

Parmi les émotions négatives orientées vers les autres, il y a notamment :

[list list_items=”la jalousie,la moquerie,la comparaison,la colère…” icon=”fa-icon-ok” icon_bg_color=”#2ecc71″ icon_bg=”square”]

Dans son dernier ouvrage « Et n’oublie pas d’être heureux », le Dr Christophe André nous explique parfaitement en quoi la tristesse, par exemple, « est une source inépuisable d’inspiration, bien plus féconde que les autres émotions (colère, peur, envie, honte). La raison en est simple : elle nous rapproche de nous-mêmes, nous pousse à réfléchir à notre vie sous l’angle de ses insuffisances et de ses difficultés et elle est aussi l’émotion douloureuse qui paradoxalement est la plus proche du bonheur (…) elle nous pousse à ralentir, à déposer les armes, à renoncer à nous battre avec la vie (ce qui est parfois une bonne idée) ».

La lucidité face aux émotions négatives: une démarche de prise de conscience

J’aime le mot « lucidité ». Il évoque la clarté, la splendeur, la mise en lumière de quelque chose ou, pour résumer, la prise de conscience… un peu comme un phare qui guiderait un bateau en haute mer. Ici, nous comprenons parfaitement en quoi et comment la sophrologie (« science de la conscience ») peut nous aider à être plus lucide face aux émotions négatives.

C’est précisément de lucidité dont il faut faire preuve face au contenu de ses émotions négatives.

Cependant, il est bien plus important encore d’être lucide face à la place et au temps que prennent les émotions négatives en nous.. car c’est là, justement, où elle deviennent dangereuses pour notre équilibre.

La Nature a horreur du vide. Or, il en est exactement de même avec les émotions négatives : tel un gaz dans une pièce, elles prennent tout l’espace qu’on veut bien leur laisser ! Nous avons donc deux choix :

  • soit, ouvrir la fenêtre pour laisser échapper le gaz et respirer un air plus frais,
  • soit rester dans la pièce, fenêtre fermée, à respirer un air vicié voire nocif.

La métaphore vaut ce qu’elle vaut, mais on l’a comprendra ; d’ailleurs, si elle renvoie au souffle (*), ce n’est pas le fruit du hasard… clin d’œil à mes amis sophrologues !

 

(*) du latin « spiritus » esprit

Enfin, quelquefois, « il y a des tempêtes et des ouragans dans la vie humaine : c’est prudence de se retirer au port pour les laisser passer. Très souvent, les remèdes font empirer les maux. (…) Il faut autant d’habileté au médecin pour ne pas ordonner que pour ordonner ; et quelquefois la finesse de l’art consiste davantage à ne point appliquer de remède. Une fontaine devient trouble pour peu qu’on la remue et son eau ne redevient claire qu’en cessant d’y toucher. Parfois, il n’y a point de meilleur remède à certains désordres que de les laisser passer, car à la fin ils s’arrêtent eux-mêmes ».
Maxime 138 – « L’Art de la Prudence » – Baltasar Gracian, (1601 – 1658)

 

Ainsi, lorsqu’il nous est juste impossible de faire preuve de volonté, pour affronter les circonstances difficiles, peut-être se rappeler de l’intermittence et de la dichotomie de toute chose que nous offre la vie… en appréciant doublement le prochain moment de bonheur.